Divers poèmes
RECETTE
Décrocher un bel arc-en-ciel,
Le défroisser du bout des doigts
Pour l'étaler avec grand soin ;
Choisir ensuite un fil de lune
Et enfiler l'une après l'autre
Des étincelles en kyrielle ;
Cueillir devant chez-soi le rire d'un passant
Bien l'arroser de vent d'autan
Et relever d'un rien de bise ;
Rouler le tout dans l'arc-en-ciel
Puis dans un plat de pur cristal
Placer au four sans plus attendre ;
Laisser mitonner le temps qu'il faudra.
A déguster du bout des rêves,
En contemplant les hirondelles.
03 11 15
XXX
QUI ?
Et qui suis-je après tout
Avec mes mains cent fois lavées
Mon panier d'étincelles ?
Un fou du roi
Un troubadour d'antan
Qui chercherait sa vielle ?
L'envoyé d'un Baal
Pour macérer des philtres
Agiter des crécelles ?
Ou les cheveux d'un ange
Avec les pieds d'un bouc
Et les sursauts d'une hirondelle ?
Et qui suis-je après tout
Si ce n'est l'oiseau blanc
Le guetteur d'arc-en-ciel ?
Mai 1967
XXX
REVES
Si tu viens dans ma maison
Prends bien garde en ouvrant les fenêtres
Un rêve pourrait s'envoler.
J'en ai de pleins paniers
Posés comme ça au p'tit bonheur
Et ils ont tous envie d'aller flâner
De jouer aux gendarmes et aux voleurs
Avec les chats de gouttières
Sur les toits de Paris
D'accrocher des lampions
De toutes les couleurs
A la barbe de la tour Eiffel
Ce sont des rêves de vaurien
Habillés comme Arlequin
Et qui vont à pas de danse
N'ont pas plus de plomb dans la tête
Que bulles de savon
Et voguent ou volent mes feux-follets
Si tu viens dans ma maison
Prends bien garde en ouvrant les fenêtres
Un rêve pourrait s'envoler
juillet 1968
XXX
VOILA-T-Y PAS
Voilà-t-y pas qu’la lune
S’met à faire des bonds d’chèvre
Par-dessus la tête des maisons
Voilà-t-y pas qu’les rues
S’en vont à la pêche
Un réverbère dans chaque main
Voilà-t-y pas qu’la Saône
S’en va au bras du Rhône
Faire une ballade en mer
Voilà-t-y pas qu’les agents d’ville
Font des sourires aux papillons
Et qu’ils jouent à chat perché
Voilà-t-y pas qu’le vin d’ma cave
S’met à sauter à cloche-pied
Et à danser la samboucta
Voilà-t-y pas qu’tout ça ça chante
Voilà-t-y pas qu’tout ça ça rêve
Voilà-t-y-pas qu’c’est un vrai dimanche.
18 11 68
XXX
LUNE
Les naseaux
Des chevaux
De la lune
Fument
Bouquets d'étoiles
En étincelles
Sous leurs sabots
Volent
Les continents
Holà
Les continents
En ont un haut-le-cœur
Qui connaît
Le sacré
Sacripant
Qui a osé
Chatouiller
Les chevaux
De la lune
Sous les naseaux
Avec
La plume
De
L'ami Pierrot
7 3 69
XXX
PEOPLE
Le sage à l’air entendu
Ecouta d’une oreille attentive
Ce que lui confia en secret
L’homme du peuple apprivoisé
Il consigna tout cela
Avec ses propres commentaires
Dans un grand livre rouge
Que préfaça l’un des Larousse
L’ouvrage fut un succès
Il obtint le prix Goncourt
Et celui de l’arc de triomphe
On en parla au vingt heure
C’était la recette des pois cassés
1992
XXX
BRAISES
J'aime la flamme pour son vin
Ses clameurs et ses couteaux
J'aime la flamme au corps de femme
Flamme liane aux hanches de gitane
Mais j'aime aussi la braise qui frissonne
Au moindre attouchement du vent
J'aime la braise qui rue et se cabre
Tout au bout du bâton qui l'agace
Mais j'aime surtout la braise apaisée
Qui écoute la nuit et qui murmure à peine.
25 10 71
XXX
HISTOIRE DE MOTS
J’ai mis tes mots dans mon panier,
Sans voir qu’il était percé ;
Certains se sont envolés
Et d’autres sont tombés.
J’ai su en ramasser
Mais je n’avais pas d’ailes
Pour aller tout là-haut
Chercher les plus agiles.
Ces quelques-uns que j’ai sauvés
J’en ai fait ce bouquet
Pour enchanter les yeux :
Soigne-le bien, arrose-le
octobre 2015
XXX
DIT DE LA POUBELLE
Excuse-moi si je t’ai éveillé
Je sais,
J’ai la voix rauque
Voix de souillon
Excuse-moi
Excuse-moi
Pour ce rêve
Séché à ma plainte
Le sol est si dur
Quand je retombe
C’est un fichu métier
Il faut se salir les mains
Pas le temps de rêver
D’être belle
J’aurais pu naître cuivre
Moirer la flamme
Mais c’était dit
Je suis poubelle
J’avais l’air équivoque
Dans la vitrine
Et déjà mes clins d’œil
Fleuraient trop l’épluchure
On m’a mise sur le trottoir
Et du trottoir à la resserre
Lourde des salissures
Bavant l’ordure
Cabossée
Titubante
J’ai mal d’être fière
Encore
Et je cache mes mouches
Excuse-moi si je t’ai éveillé
Referme ta fenêtre
Va retrouver tes rêves
Et laisse-moi
La nuit
24 01 67
XXX
CREPUSCULE
Le jour s’effeuille
En demi-teintes
Passe un nuage
A pas de rêve
Un oiseau là-bas
Tisse son chant
Dans les secrets
D’un solitaire
Encore Fripon
Qui jappe clair
Puis les portes
Qui claquent
Et c’est l’heure venue
D’aller boire à la lune
Qui s’en vient
A pas de reine
18 1 67
XXX
PAS FACILE
Pas facile d’être un oiseau-mouche
D’avoir deux pattes au lieu de six
De se regarder dans la glace
Au côté d’un aigle royal
Pas facile d’être un oiseau-lyre
Et de ne pas pouvoir jouer
De l’accordéon du banjo
De la guitare ou du pipeau
Pas facile d’être un oiseau noir
Quand on aime la vie en rose
Les fleurs de toutes les couleurs
L’or du soleil dans le ciel bleu
Pas facile d’être un oiseau blanc
Quand la pollution la grisaille
Vous obligent à voler très haut
Pour deviner les arcs-en-ciel
11 12 15
XXX
L’HIVER
Bonne femme l’hiver
A de la neige sous ses sabots
Elle a le nez qui goutte
Le rire qui grelotte
Elle a des claques de bise
Qu’elle nous jette à la figure
Et des breloques de glace
Qu’elle accroche au bord des toits
Elle cire les trottoirs
Pour culbuter les vieilles gens
Elle invente des pas de danse
Sur des parquets de verglas
Elle joue tant de tours aux passants
Que par les bois et les forêts
Les arbres qui sont de braves gens
En attrapent des cheveux blancs
18 8 68
XXX
SABLIER
Le sable a tout son temps
Pour élever la dune
Ou cerner l’océan
Il compte grain à grain
Mais ne sait que l’instant
Car il est sans mémoire
Qu’on le tourne ou retourne
Jamais son sablier
Ne revient à hier
23 11 15
XXX
GRENIER
Dans mes coffres aux trésors
J'ai des refrains pour toutes les chansons
Des carafes pour toutes les liqueurs
Dessous des hardes de baladin
Voici les ors de Balthazar
Et la lanterne d'Aladin
Voici des harpes pour les grillons
La baguette de Mélusine
Et le soulier de Cendrillon
Voici une mouette un planeur
Le rire d'une cascade
Et des peintures et des couleurs
Choisis
14 06 68
XXX
JOURNALISTES
Je nous le demande accusés:
Qu'as-tu fait de ton métier ?
Il te vint de rencontre
Ou je l'avais choisi :
Fardeau de mains tendues
De corps et de cris, de foules et de fringales
Et nous et moi pour inventer le sens...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Il te donnait peine et solitude
Mais la gloire de précéder le jour,
D'être là pour la naissance
De peser au premier cri son destin de clameur
D'être veilleur de cauchemars pour accoucher l'espoir...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Il devint quotidien, jours tracés,
Heures de service et puis on ferme,
Recette de mots blêmes
A conjuguer au passé décomposé
Doigt sur la couture
Et cul tendu vers la carrière...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Et ma fille qui vivra
L'avenir que je parture
Devra récuser notre enfant :
Je nous serons les accusés
D'avoir étés veules et sans voix
Devant le talent du monde...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier ?
Juin 1980
XXX
BOHEME
N'ai jamais voilé que l'air du temps ;
Ventre plus creux que tronc d'église,
N'ai pour arme qu'un pipeau
Et pour ami un chat-huant.
Mais, si goulot m'était donné,
Deviendrais plus riche qu'un tonnelier,
Aurais demeure en pierre de neige
Et monture à l'amble du vent ;
Mettrais costume à paillettes
et, pourquoi pas ? chapeau pointu,
Nœud de pie, queue de papillon,
Serais élu roi des clowns !
Accrocherais ma balançoire
Aux cornes du Bélier
Et jouerais aux quilles
Avec les mats des réverbères ;
Et si enfin tout chavirait,
Roterais à la figure des gens
Avant d'endormir mon pipeau,
De bercer mon chat-huant.
27 11 68
XXX
CONTE A DORMIR DEBOUT
L’aubade du clair de lune
Fera danser des lutins
Dans la chambre des fées
Quatre cigales et trois grillons
Donneront la musique
Un gros nuage au ventre blanc
Servira d’édredon
Une toison de zibeline
Sera taie d’oreiller
On laissera le temps au millepatte
De délacer un à un ses souliers
Puis on s’endormira
Dans le nid d’un oiseau
17 03 16
XXX
PROCESSION
Des maîtres cubes de béton
Processionnent en rang d'oignons
Sous la bannière du néon
Frères laids consacrés concentrés
Ils écarquillent leurs fenêtres
En égrenant leurs litanies
Suant l'asphalte et le bitume
Ils mènent jusqu'aux chaumières
Leur procession d'abrogation
Et bavant des chêneaux
Ils balancent leurs encenseurs
Pour les vêpres du temps
1967
XXX
LE VENT
Quand mon ami le vent s'en revint de Bohème
Il avait dans ses poches un flacon de bon vin
Des rires des chansons et mille facéties
Quand le vent mon ami arriva sur la place
Il fit la pirouette juste devant le maire
Et hop sans prévenir lui vola son chapeau
Puis voyant arriver madame la crémière
A pas coquins le vent s'approcha d'elle et frou
Souleva son jupon fit voler ses dentelles
La ville s'offusqua des frasques de ce vent
On alerta le brigadier
Qui sacra, bougre de bougre, et dressa procès-verbal
Mais ce vent-là mon vieil ami
S'en vint frapper à mon volet
Et je crus bon de lui ouvrir tout grand
Il vint s'asseoir dans mon fauteuil
Je lui offris un verre de vieux rhum
Il le vida d'un trait puis il claqua la langue
Enfin il croisa les mains sur son ventre
Et sans plus de façons lui mon ami le vent
S'endormit là dans mon fauteuil.
1970
XXX
ICEBERGS
Monstres pour l’homme
Ils errent sur les flots.
On les voit quelquefois
Balancer un oiseau
Sans bien savoir
Comment le réchauffer.
Ils pourraient faire trembler
Exiger leur part de feu
Mais ils passent en frissonnant,
Marchant d’un pas pénible,
Toujours au large,
Sans s’incliner.
Et, au bout de la route,
Les voilà qui s’écorchent,
Qui s’arrachent et succombent,
Ne laissant qu’un grand cri
Et quelques larmes dans la mer.
09 05 67
XXX
QUETE
Pour que du nid au jour l'attente s'en aille éclore
Et soient comblés les veilleurs
Ecuyers
Au gonfanon de sang
Barbares
Aux cheveux dénoués
Ils ont armé leur poing d'un tranchoir
Et
Mordus de fringales
Creusés de gel
Taraudés de feu
Ils ont bondi vers les astres
Pour arracher aux tripes du vent
Un breuvage philosophale
Fait de foudre
Et de lune
Juin 1968
RECETTE
Décrocher un bel arc-en-ciel,
Le défroisser du bout des doigts
Pour l'étaler avec grand soin ;
Choisir ensuite un fil de lune
Et enfiler l'une après l'autre
Des étincelles en kyrielle ;
Cueillir devant chez-soi le rire d'un passant
Bien l'arroser de vent d'autan
Et relever d'un rien de bise ;
Rouler le tout dans l'arc-en-ciel
Puis dans un plat de pur cristal
Placer au four sans plus attendre ;
Laisser mitonner le temps qu'il faudra.
A déguster du bout des rêves,
En contemplant les hirondelles.
03 11 15
XXX
QUI ?
Et qui suis-je après tout
Avec mes mains cent fois lavées
Mon panier d'étincelles ?
Un fou du roi
Un troubadour d'antan
Qui chercherait sa vielle ?
L'envoyé d'un Baal
Pour macérer des philtres
Agiter des crécelles ?
Ou les cheveux d'un ange
Avec les pieds d'un bouc
Et les sursauts d'une hirondelle ?
Et qui suis-je après tout
Si ce n'est l'oiseau blanc
Le guetteur d'arc-en-ciel ?
Mai 1967
XXX
REVES
Si tu viens dans ma maison
Prends bien garde en ouvrant les fenêtres
Un rêve pourrait s'envoler.
J'en ai de pleins paniers
Posés comme ça au p'tit bonheur
Et ils ont tous envie d'aller flâner
De jouer aux gendarmes et aux voleurs
Avec les chats de gouttières
Sur les toits de Paris
D'accrocher des lampions
De toutes les couleurs
A la barbe de la tour Eiffel
Ce sont des rêves de vaurien
Habillés comme Arlequin
Et qui vont à pas de danse
N'ont pas plus de plomb dans la tête
Que bulles de savon
Et voguent ou volent mes feux-follets
Si tu viens dans ma maison
Prends bien garde en ouvrant les fenêtres
Un rêve pourrait s'envoler
juillet 1968
XXX
VOILA-T-Y PAS
Voilà-t-y pas qu’la lune
S’met à faire des bonds d’chèvre
Par-dessus la tête des maisons
Voilà-t-y pas qu’les rues
S’en vont à la pêche
Un réverbère dans chaque main
Voilà-t-y pas qu’la Saône
S’en va au bras du Rhône
Faire une ballade en mer
Voilà-t-y pas qu’les agents d’ville
Font des sourires aux papillons
Et qu’ils jouent à chat perché
Voilà-t-y pas qu’le vin d’ma cave
S’met à sauter à cloche-pied
Et à danser la samboucta
Voilà-t-y pas qu’tout ça ça chante
Voilà-t-y pas qu’tout ça ça rêve
Voilà-t-y-pas qu’c’est un vrai dimanche.
18 11 68
XXX
LUNE
Les naseaux
Des chevaux
De la lune
Fument
Bouquets d'étoiles
En étincelles
Sous leurs sabots
Volent
Les continents
Holà
Les continents
En ont un haut-le-cœur
Qui connaît
Le sacré
Sacripant
Qui a osé
Chatouiller
Les chevaux
De la lune
Sous les naseaux
Avec
La plume
De
L'ami Pierrot
7 3 69
XXX
PEOPLE
Le sage à l’air entendu
Ecouta d’une oreille attentive
Ce que lui confia en secret
L’homme du peuple apprivoisé
Il consigna tout cela
Avec ses propres commentaires
Dans un grand livre rouge
Que préfaça l’un des Larousse
L’ouvrage fut un succès
Il obtint le prix Goncourt
Et celui de l’arc de triomphe
On en parla au vingt heure
C’était la recette des pois cassés
1992
XXX
BRAISES
J'aime la flamme pour son vin
Ses clameurs et ses couteaux
J'aime la flamme au corps de femme
Flamme liane aux hanches de gitane
Mais j'aime aussi la braise qui frissonne
Au moindre attouchement du vent
J'aime la braise qui rue et se cabre
Tout au bout du bâton qui l'agace
Mais j'aime surtout la braise apaisée
Qui écoute la nuit et qui murmure à peine.
25 10 71
XXX
HISTOIRE DE MOTS
J’ai mis tes mots dans mon panier,
Sans voir qu’il était percé ;
Certains se sont envolés
Et d’autres sont tombés.
J’ai su en ramasser
Mais je n’avais pas d’ailes
Pour aller tout là-haut
Chercher les plus agiles.
Ces quelques-uns que j’ai sauvés
J’en ai fait ce bouquet
Pour enchanter les yeux :
Soigne-le bien, arrose-le
octobre 2015
XXX
DIT DE LA POUBELLE
Excuse-moi si je t’ai éveillé
Je sais,
J’ai la voix rauque
Voix de souillon
Excuse-moi
Excuse-moi
Pour ce rêve
Séché à ma plainte
Le sol est si dur
Quand je retombe
C’est un fichu métier
Il faut se salir les mains
Pas le temps de rêver
D’être belle
J’aurais pu naître cuivre
Moirer la flamme
Mais c’était dit
Je suis poubelle
J’avais l’air équivoque
Dans la vitrine
Et déjà mes clins d’œil
Fleuraient trop l’épluchure
On m’a mise sur le trottoir
Et du trottoir à la resserre
Lourde des salissures
Bavant l’ordure
Cabossée
Titubante
J’ai mal d’être fière
Encore
Et je cache mes mouches
Excuse-moi si je t’ai éveillé
Referme ta fenêtre
Va retrouver tes rêves
Et laisse-moi
La nuit
24 01 67
XXX
CREPUSCULE
Le jour s’effeuille
En demi-teintes
Passe un nuage
A pas de rêve
Un oiseau là-bas
Tisse son chant
Dans les secrets
D’un solitaire
Encore Fripon
Qui jappe clair
Puis les portes
Qui claquent
Et c’est l’heure venue
D’aller boire à la lune
Qui s’en vient
A pas de reine
18 1 67
XXX
PAS FACILE
Pas facile d’être un oiseau-mouche
D’avoir deux pattes au lieu de six
De se regarder dans la glace
Au côté d’un aigle royal
Pas facile d’être un oiseau-lyre
Et de ne pas pouvoir jouer
De l’accordéon du banjo
De la guitare ou du pipeau
Pas facile d’être un oiseau noir
Quand on aime la vie en rose
Les fleurs de toutes les couleurs
L’or du soleil dans le ciel bleu
Pas facile d’être un oiseau blanc
Quand la pollution la grisaille
Vous obligent à voler très haut
Pour deviner les arcs-en-ciel
11 12 15
XXX
L’HIVER
Bonne femme l’hiver
A de la neige sous ses sabots
Elle a le nez qui goutte
Le rire qui grelotte
Elle a des claques de bise
Qu’elle nous jette à la figure
Et des breloques de glace
Qu’elle accroche au bord des toits
Elle cire les trottoirs
Pour culbuter les vieilles gens
Elle invente des pas de danse
Sur des parquets de verglas
Elle joue tant de tours aux passants
Que par les bois et les forêts
Les arbres qui sont de braves gens
En attrapent des cheveux blancs
18 8 68
XXX
SABLIER
Le sable a tout son temps
Pour élever la dune
Ou cerner l’océan
Il compte grain à grain
Mais ne sait que l’instant
Car il est sans mémoire
Qu’on le tourne ou retourne
Jamais son sablier
Ne revient à hier
23 11 15
XXX
GRENIER
Dans mes coffres aux trésors
J'ai des refrains pour toutes les chansons
Des carafes pour toutes les liqueurs
Dessous des hardes de baladin
Voici les ors de Balthazar
Et la lanterne d'Aladin
Voici des harpes pour les grillons
La baguette de Mélusine
Et le soulier de Cendrillon
Voici une mouette un planeur
Le rire d'une cascade
Et des peintures et des couleurs
Choisis
14 06 68
XXX
JOURNALISTES
Je nous le demande accusés:
Qu'as-tu fait de ton métier ?
Il te vint de rencontre
Ou je l'avais choisi :
Fardeau de mains tendues
De corps et de cris, de foules et de fringales
Et nous et moi pour inventer le sens...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Il te donnait peine et solitude
Mais la gloire de précéder le jour,
D'être là pour la naissance
De peser au premier cri son destin de clameur
D'être veilleur de cauchemars pour accoucher l'espoir...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Il devint quotidien, jours tracés,
Heures de service et puis on ferme,
Recette de mots blêmes
A conjuguer au passé décomposé
Doigt sur la couture
Et cul tendu vers la carrière...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Et ma fille qui vivra
L'avenir que je parture
Devra récuser notre enfant :
Je nous serons les accusés
D'avoir étés veules et sans voix
Devant le talent du monde...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier ?
Juin 1980
XXX
BOHEME
N'ai jamais voilé que l'air du temps ;
Ventre plus creux que tronc d'église,
N'ai pour arme qu'un pipeau
Et pour ami un chat-huant.
Mais, si goulot m'était donné,
Deviendrais plus riche qu'un tonnelier,
Aurais demeure en pierre de neige
Et monture à l'amble du vent ;
Mettrais costume à paillettes
et, pourquoi pas ? chapeau pointu,
Nœud de pie, queue de papillon,
Serais élu roi des clowns !
Accrocherais ma balançoire
Aux cornes du Bélier
Et jouerais aux quilles
Avec les mats des réverbères ;
Et si enfin tout chavirait,
Roterais à la figure des gens
Avant d'endormir mon pipeau,
De bercer mon chat-huant.
27 11 68
XXX
CONTE A DORMIR DEBOUT
L’aubade du clair de lune
Fera danser des lutins
Dans la chambre des fées
Quatre cigales et trois grillons
Donneront la musique
Un gros nuage au ventre blanc
Servira d’édredon
Une toison de zibeline
Sera taie d’oreiller
On laissera le temps au millepatte
De délacer un à un ses souliers
Puis on s’endormira
Dans le nid d’un oiseau
17 03 16
XXX
PROCESSION
Des maîtres cubes de béton
Processionnent en rang d'oignons
Sous la bannière du néon
Frères laids consacrés concentrés
Ils écarquillent leurs fenêtres
En égrenant leurs litanies
Suant l'asphalte et le bitume
Ils mènent jusqu'aux chaumières
Leur procession d'abrogation
Et bavant des chêneaux
Ils balancent leurs encenseurs
Pour les vêpres du temps
1967
XXX
LE VENT
Quand mon ami le vent s'en revint de Bohème
Il avait dans ses poches un flacon de bon vin
Des rires des chansons et mille facéties
Quand le vent mon ami arriva sur la place
Il fit la pirouette juste devant le maire
Et hop sans prévenir lui vola son chapeau
Puis voyant arriver madame la crémière
A pas coquins le vent s'approcha d'elle et frou
Souleva son jupon fit voler ses dentelles
La ville s'offusqua des frasques de ce vent
On alerta le brigadier
Qui sacra, bougre de bougre, et dressa procès-verbal
Mais ce vent-là mon vieil ami
S'en vint frapper à mon volet
Et je crus bon de lui ouvrir tout grand
Il vint s'asseoir dans mon fauteuil
Je lui offris un verre de vieux rhum
Il le vida d'un trait puis il claqua la langue
Enfin il croisa les mains sur son ventre
Et sans plus de façons lui mon ami le vent
S'endormit là dans mon fauteuil.
1970
XXX
ICEBERGS
Monstres pour l’homme
Ils errent sur les flots.
On les voit quelquefois
Balancer un oiseau
Sans bien savoir
Comment le réchauffer.
Ils pourraient faire trembler
Exiger leur part de feu
Mais ils passent en frissonnant,
Marchant d’un pas pénible,
Toujours au large,
Sans s’incliner.
Et, au bout de la route,
Les voilà qui s’écorchent,
Qui s’arrachent et succombent,
Ne laissant qu’un grand cri
Et quelques larmes dans la mer.
09 05 67
XXX
QUETE
Pour que du nid au jour l'attente s'en aille éclore
Et soient comblés les veilleurs
Ecuyers
Au gonfanon de sang
Barbares
Aux cheveux dénoués
Ils ont armé leur poing d'un tranchoir
Et
Mordus de fringales
Creusés de gel
Taraudés de feu
Ils ont bondi vers les astres
Pour arracher aux tripes du vent
Un breuvage philosophale
Fait de foudre
Et de lune
Juin 1968
RECETTE
Décrocher un bel arc-en-ciel,
Le défroisser du bout des doigts
Pour l'étaler avec grand soin ;
Choisir ensuite un fil de lune
Et enfiler l'une après l'autre
Des étincelles en kyrielle ;
Cueillir devant chez-soi le rire d'un passant
Bien l'arroser de vent d'autan
Et relever d'un rien de bise ;
Rouler le tout dans l'arc-en-ciel
Puis dans un plat de pur cristal
Placer au four sans plus attendre ;
Laisser mitonner le temps qu'il faudra.
A déguster du bout des rêves,
En contemplant les hirondelles.
03 11 15
XXX
QUI ?
Et qui suis-je après tout
Avec mes mains cent fois lavées
Mon panier d'étincelles ?
Un fou du roi
Un troubadour d'antan
Qui chercherait sa vielle ?
L'envoyé d'un Baal
Pour macérer des philtres
Agiter des crécelles ?
Ou les cheveux d'un ange
Avec les pieds d'un bouc
Et les sursauts d'une hirondelle ?
Et qui suis-je après tout
Si ce n'est l'oiseau blanc
Le guetteur d'arc-en-ciel ?
Mai 1967
XXX
REVES
Si tu viens dans ma maison
Prends bien garde en ouvrant les fenêtres
Un rêve pourrait s'envoler.
J'en ai de pleins paniers
Posés comme ça au p'tit bonheur
Et ils ont tous envie d'aller flâner
De jouer aux gendarmes et aux voleurs
Avec les chats de gouttières
Sur les toits de Paris
D'accrocher des lampions
De toutes les couleurs
A la barbe de la tour Eiffel
Ce sont des rêves de vaurien
Habillés comme Arlequin
Et qui vont à pas de danse
N'ont pas plus de plomb dans la tête
Que bulles de savon
Et voguent ou volent mes feux-follets
Si tu viens dans ma maison
Prends bien garde en ouvrant les fenêtres
Un rêve pourrait s'envoler
juillet 1968
XXX
VOILA-T-Y PAS
Voilà-t-y pas qu’la lune
S’met à faire des bonds d’chèvre
Par-dessus la tête des maisons
Voilà-t-y pas qu’les rues
S’en vont à la pêche
Un réverbère dans chaque main
Voilà-t-y pas qu’la Saône
S’en va au bras du Rhône
Faire une ballade en mer
Voilà-t-y pas qu’les agents d’ville
Font des sourires aux papillons
Et qu’ils jouent à chat perché
Voilà-t-y pas qu’le vin d’ma cave
S’met à sauter à cloche-pied
Et à danser la samboucta
Voilà-t-y pas qu’tout ça ça chante
Voilà-t-y pas qu’tout ça ça rêve
Voilà-t-y-pas qu’c’est un vrai dimanche.
18 11 68
XXX
LUNE
Les naseaux
Des chevaux
De la lune
Fument
Bouquets d'étoiles
En étincelles
Sous leurs sabots
Volent
Les continents
Holà
Les continents
En ont un haut-le-cœur
Qui connaît
Le sacré
Sacripant
Qui a osé
Chatouiller
Les chevaux
De la lune
Sous les naseaux
Avec
La plume
De
L'ami Pierrot
7 3 69
XXX
PEOPLE
Le sage à l’air entendu
Ecouta d’une oreille attentive
Ce que lui confia en secret
L’homme du peuple apprivoisé
Il consigna tout cela
Avec ses propres commentaires
Dans un grand livre rouge
Que préfaça l’un des Larousse
L’ouvrage fut un succès
Il obtint le prix Goncourt
Et celui de l’arc de triomphe
On en parla au vingt heure
C’était la recette des pois cassés
1992
XXX
BRAISES
J'aime la flamme pour son vin
Ses clameurs et ses couteaux
J'aime la flamme au corps de femme
Flamme liane aux hanches de gitane
Mais j'aime aussi la braise qui frissonne
Au moindre attouchement du vent
J'aime la braise qui rue et se cabre
Tout au bout du bâton qui l'agace
Mais j'aime surtout la braise apaisée
Qui écoute la nuit et qui murmure à peine.
25 10 71
XXX
HISTOIRE DE MOTS
J’ai mis tes mots dans mon panier,
Sans voir qu’il était percé ;
Certains se sont envolés
Et d’autres sont tombés.
J’ai su en ramasser
Mais je n’avais pas d’ailes
Pour aller tout là-haut
Chercher les plus agiles.
Ces quelques-uns que j’ai sauvés
J’en ai fait ce bouquet
Pour enchanter les yeux :
Soigne-le bien, arrose-le
octobre 2015
XXX
DIT DE LA POUBELLE
Excuse-moi si je t’ai éveillé
Je sais,
J’ai la voix rauque
Voix de souillon
Excuse-moi
Excuse-moi
Pour ce rêve
Séché à ma plainte
Le sol est si dur
Quand je retombe
C’est un fichu métier
Il faut se salir les mains
Pas le temps de rêver
D’être belle
J’aurais pu naître cuivre
Moirer la flamme
Mais c’était dit
Je suis poubelle
J’avais l’air équivoque
Dans la vitrine
Et déjà mes clins d’œil
Fleuraient trop l’épluchure
On m’a mise sur le trottoir
Et du trottoir à la resserre
Lourde des salissures
Bavant l’ordure
Cabossée
Titubante
J’ai mal d’être fière
Encore
Et je cache mes mouches
Excuse-moi si je t’ai éveillé
Referme ta fenêtre
Va retrouver tes rêves
Et laisse-moi
La nuit
24 01 67
XXX
CREPUSCULE
Le jour s’effeuille
En demi-teintes
Passe un nuage
A pas de rêve
Un oiseau là-bas
Tisse son chant
Dans les secrets
D’un solitaire
Encore Fripon
Qui jappe clair
Puis les portes
Qui claquent
Et c’est l’heure venue
D’aller boire à la lune
Qui s’en vient
A pas de reine
18 1 67
XXX
PAS FACILE
Pas facile d’être un oiseau-mouche
D’avoir deux pattes au lieu de six
De se regarder dans la glace
Au côté d’un aigle royal
Pas facile d’être un oiseau-lyre
Et de ne pas pouvoir jouer
De l’accordéon du banjo
De la guitare ou du pipeau
Pas facile d’être un oiseau noir
Quand on aime la vie en rose
Les fleurs de toutes les couleurs
L’or du soleil dans le ciel bleu
Pas facile d’être un oiseau blanc
Quand la pollution la grisaille
Vous obligent à voler très haut
Pour deviner les arcs-en-ciel
11 12 15
XXX
L’HIVER
Bonne femme l’hiver
A de la neige sous ses sabots
Elle a le nez qui goutte
Le rire qui grelotte
Elle a des claques de bise
Qu’elle nous jette à la figure
Et des breloques de glace
Qu’elle accroche au bord des toits
Elle cire les trottoirs
Pour culbuter les vieilles gens
Elle invente des pas de danse
Sur des parquets de verglas
Elle joue tant de tours aux passants
Que par les bois et les forêts
Les arbres qui sont de braves gens
En attrapent des cheveux blancs
18 8 68
XXX
SABLIER
Le sable a tout son temps
Pour élever la dune
Ou cerner l’océan
Il compte grain à grain
Mais ne sait que l’instant
Car il est sans mémoire
Qu’on le tourne ou retourne
Jamais son sablier
Ne revient à hier
23 11 15
XXX
GRENIER
Dans mes coffres aux trésors
J'ai des refrains pour toutes les chansons
Des carafes pour toutes les liqueurs
Dessous des hardes de baladin
Voici les ors de Balthazar
Et la lanterne d'Aladin
Voici des harpes pour les grillons
La baguette de Mélusine
Et le soulier de Cendrillon
Voici une mouette un planeur
Le rire d'une cascade
Et des peintures et des couleurs
Choisis
14 06 68
XXX
JOURNALISTES
Je nous le demande accusés:
Qu'as-tu fait de ton métier ?
Il te vint de rencontre
Ou je l'avais choisi :
Fardeau de mains tendues
De corps et de cris, de foules et de fringales
Et nous et moi pour inventer le sens...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Il te donnait peine et solitude
Mais la gloire de précéder le jour,
D'être là pour la naissance
De peser au premier cri son destin de clameur
D'être veilleur de cauchemars pour accoucher l'espoir...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Il devint quotidien, jours tracés,
Heures de service et puis on ferme,
Recette de mots blêmes
A conjuguer au passé décomposé
Doigt sur la couture
Et cul tendu vers la carrière...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Et ma fille qui vivra
L'avenir que je parture
Devra récuser notre enfant :
Je nous serons les accusés
D'avoir étés veules et sans voix
Devant le talent du monde...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier ?
Juin 1980
XXX
BOHEME
N'ai jamais voilé que l'air du temps ;
Ventre plus creux que tronc d'église,
N'ai pour arme qu'un pipeau
Et pour ami un chat-huant.
Mais, si goulot m'était donné,
Deviendrais plus riche qu'un tonnelier,
Aurais demeure en pierre de neige
Et monture à l'amble du vent ;
Mettrais costume à paillettes
et, pourquoi pas ? chapeau pointu,
Nœud de pie, queue de papillon,
Serais élu roi des clowns !
Accrocherais ma balançoire
Aux cornes du Bélier
Et jouerais aux quilles
Avec les mats des réverbères ;
Et si enfin tout chavirait,
Roterais à la figure des gens
Avant d'endormir mon pipeau,
De bercer mon chat-huant.
27 11 68
XXX
CONTE A DORMIR DEBOUT
L’aubade du clair de lune
Fera danser des lutins
Dans la chambre des fées
Quatre cigales et trois grillons
Donneront la musique
Un gros nuage au ventre blanc
Servira d’édredon
Une toison de zibeline
Sera taie d’oreiller
On laissera le temps au millepatte
De délacer un à un ses souliers
Puis on s’endormira
Dans le nid d’un oiseau
17 03 16
XXX
PROCESSION
Des maîtres cubes de béton
Processionnent en rang d'oignons
Sous la bannière du néon
Frères laids consacrés concentrés
Ils écarquillent leurs fenêtres
En égrenant leurs litanies
Suant l'asphalte et le bitume
Ils mènent jusqu'aux chaumières
Leur procession d'abrogation
Et bavant des chêneaux
Ils balancent leurs encenseurs
Pour les vêpres du temps
1967
XXX
LE VENT
Quand mon ami le vent s'en revint de Bohème
Il avait dans ses poches un flacon de bon vin
Des rires des chansons et mille facéties
Quand le vent mon ami arriva sur la place
Il fit la pirouette juste devant le maire
Et hop sans prévenir lui vola son chapeau
Puis voyant arriver madame la crémière
A pas coquins le vent s'approcha d'elle et frou
Souleva son jupon fit voler ses dentelles
La ville s'offusqua des frasques de ce vent
On alerta le brigadier
Qui sacra, bougre de bougre, et dressa procès-verbal
Mais ce vent-là mon vieil ami
S'en vint frapper à mon volet
Et je crus bon de lui ouvrir tout grand
Il vint s'asseoir dans mon fauteuil
Je lui offris un verre de vieux rhum
Il le vida d'un trait puis il claqua la langue
Enfin il croisa les mains sur son ventre
Et sans plus de façons lui mon ami le vent
S'endormit là dans mon fauteuil.
1970
XXX
ICEBERGS
Monstres pour l’homme
Ils errent sur les flots.
On les voit quelquefois
Balancer un oiseau
Sans bien savoir
Comment le réchauffer.
Ils pourraient faire trembler
Exiger leur part de feu
Mais ils passent en frissonnant,
Marchant d’un pas pénible,
Toujours au large,
Sans s’incliner.
Et, au bout de la route,
Les voilà qui s’écorchent,
Qui s’arrachent et succombent,
Ne laissant qu’un grand cri
Et quelques larmes dans la mer.
09 05 67
XXX
QUETE
Pour que du nid au jour l'attente s'en aille éclore
Et soient comblés les veilleurs
Ecuyers
Au gonfanon de sang
Barbares
Aux cheveux dénoués
Ils ont armé leur poing d'un tranchoir
Et
Mordus de fringales
Creusés de gel
Taraudés de feu
Ils ont bondi vers les astres
Pour arracher aux tripes du vent
Un breuvage philosophale
Fait de foudre
Et de lune
Juin 1968
RECETTE
Décrocher un bel arc-en-ciel,
Le défroisser du bout des doigts
Pour l'étaler avec grand soin ;
Choisir ensuite un fil de lune
Et enfiler l'une après l'autre
Des étincelles en kyrielle ;
Cueillir devant chez-soi le rire d'un passant
Bien l'arroser de vent d'autan
Et relever d'un rien de bise ;
Rouler le tout dans l'arc-en-ciel
Puis dans un plat de pur cristal
Placer au four sans plus attendre ;
Laisser mitonner le temps qu'il faudra.
A déguster du bout des rêves,
En contemplant les hirondelles.
03 11 15
XXX
QUI ?
Et qui suis-je après tout
Avec mes mains cent fois lavées
Mon panier d'étincelles ?
Un fou du roi
Un troubadour d'antan
Qui chercherait sa vielle ?
L'envoyé d'un Baal
Pour macérer des philtres
Agiter des crécelles ?
Ou les cheveux d'un ange
Avec les pieds d'un bouc
Et les sursauts d'une hirondelle ?
Et qui suis-je après tout
Si ce n'est l'oiseau blanc
Le guetteur d'arc-en-ciel ?
Mai 1967
XXX
REVES
Si tu viens dans ma maison
Prends bien garde en ouvrant les fenêtres
Un rêve pourrait s'envoler.
J'en ai de pleins paniers
Posés comme ça au p'tit bonheur
Et ils ont tous envie d'aller flâner
De jouer aux gendarmes et aux voleurs
Avec les chats de gouttières
Sur les toits de Paris
D'accrocher des lampions
De toutes les couleurs
A la barbe de la tour Eiffel
Ce sont des rêves de vaurien
Habillés comme Arlequin
Et qui vont à pas de danse
N'ont pas plus de plomb dans la tête
Que bulles de savon
Et voguent ou volent mes feux-follets
Si tu viens dans ma maison
Prends bien garde en ouvrant les fenêtres
Un rêve pourrait s'envoler
juillet 1968
XXX
VOILA-T-Y PAS
Voilà-t-y pas qu’la lune
S’met à faire des bonds d’chèvre
Par-dessus la tête des maisons
Voilà-t-y pas qu’les rues
S’en vont à la pêche
Un réverbère dans chaque main
Voilà-t-y pas qu’la Saône
S’en va au bras du Rhône
Faire une ballade en mer
Voilà-t-y pas qu’les agents d’ville
Font des sourires aux papillons
Et qu’ils jouent à chat perché
Voilà-t-y pas qu’le vin d’ma cave
S’met à sauter à cloche-pied
Et à danser la samboucta
Voilà-t-y pas qu’tout ça ça chante
Voilà-t-y pas qu’tout ça ça rêve
Voilà-t-y-pas qu’c’est un vrai dimanche.
18 11 68
XXX
LUNE
Les naseaux
Des chevaux
De la lune
Fument
Bouquets d'étoiles
En étincelles
Sous leurs sabots
Volent
Les continents
Holà
Les continents
En ont un haut-le-cœur
Qui connaît
Le sacré
Sacripant
Qui a osé
Chatouiller
Les chevaux
De la lune
Sous les naseaux
Avec
La plume
De
L'ami Pierrot
7 3 69
XXX
PEOPLE
Le sage à l’air entendu
Ecouta d’une oreille attentive
Ce que lui confia en secret
L’homme du peuple apprivoisé
Il consigna tout cela
Avec ses propres commentaires
Dans un grand livre rouge
Que préfaça l’un des Larousse
L’ouvrage fut un succès
Il obtint le prix Goncourt
Et celui de l’arc de triomphe
On en parla au vingt heure
C’était la recette des pois cassés
1992
XXX
BRAISES
J'aime la flamme pour son vin
Ses clameurs et ses couteaux
J'aime la flamme au corps de femme
Flamme liane aux hanches de gitane
Mais j'aime aussi la braise qui frissonne
Au moindre attouchement du vent
J'aime la braise qui rue et se cabre
Tout au bout du bâton qui l'agace
Mais j'aime surtout la braise apaisée
Qui écoute la nuit et qui murmure à peine.
25 10 71
XXX
HISTOIRE DE MOTS
J’ai mis tes mots dans mon panier,
Sans voir qu’il était percé ;
Certains se sont envolés
Et d’autres sont tombés.
J’ai su en ramasser
Mais je n’avais pas d’ailes
Pour aller tout là-haut
Chercher les plus agiles.
Ces quelques-uns que j’ai sauvés
J’en ai fait ce bouquet
Pour enchanter les yeux :
Soigne-le bien, arrose-le
octobre 2015
XXX
DIT DE LA POUBELLE
Excuse-moi si je t’ai éveillé
Je sais,
J’ai la voix rauque
Voix de souillon
Excuse-moi
Excuse-moi
Pour ce rêve
Séché à ma plainte
Le sol est si dur
Quand je retombe
C’est un fichu métier
Il faut se salir les mains
Pas le temps de rêver
D’être belle
J’aurais pu naître cuivre
Moirer la flamme
Mais c’était dit
Je suis poubelle
J’avais l’air équivoque
Dans la vitrine
Et déjà mes clins d’œil
Fleuraient trop l’épluchure
On m’a mise sur le trottoir
Et du trottoir à la resserre
Lourde des salissures
Bavant l’ordure
Cabossée
Titubante
J’ai mal d’être fière
Encore
Et je cache mes mouches
Excuse-moi si je t’ai éveillé
Referme ta fenêtre
Va retrouver tes rêves
Et laisse-moi
La nuit
24 01 67
XXX
CREPUSCULE
Le jour s’effeuille
En demi-teintes
Passe un nuage
A pas de rêve
Un oiseau là-bas
Tisse son chant
Dans les secrets
D’un solitaire
Encore Fripon
Qui jappe clair
Puis les portes
Qui claquent
Et c’est l’heure venue
D’aller boire à la lune
Qui s’en vient
A pas de reine
18 1 67
XXX
PAS FACILE
Pas facile d’être un oiseau-mouche
D’avoir deux pattes au lieu de six
De se regarder dans la glace
Au côté d’un aigle royal
Pas facile d’être un oiseau-lyre
Et de ne pas pouvoir jouer
De l’accordéon du banjo
De la guitare ou du pipeau
Pas facile d’être un oiseau noir
Quand on aime la vie en rose
Les fleurs de toutes les couleurs
L’or du soleil dans le ciel bleu
Pas facile d’être un oiseau blanc
Quand la pollution la grisaille
Vous obligent à voler très haut
Pour deviner les arcs-en-ciel
11 12 15
XXX
L’HIVER
Bonne femme l’hiver
A de la neige sous ses sabots
Elle a le nez qui goutte
Le rire qui grelotte
Elle a des claques de bise
Qu’elle nous jette à la figure
Et des breloques de glace
Qu’elle accroche au bord des toits
Elle cire les trottoirs
Pour culbuter les vieilles gens
Elle invente des pas de danse
Sur des parquets de verglas
Elle joue tant de tours aux passants
Que par les bois et les forêts
Les arbres qui sont de braves gens
En attrapent des cheveux blancs
18 8 68
XXX
SABLIER
Le sable a tout son temps
Pour élever la dune
Ou cerner l’océan
Il compte grain à grain
Mais ne sait que l’instant
Car il est sans mémoire
Qu’on le tourne ou retourne
Jamais son sablier
Ne revient à hier
23 11 15
XXX
GRENIER
Dans mes coffres aux trésors
J'ai des refrains pour toutes les chansons
Des carafes pour toutes les liqueurs
Dessous des hardes de baladin
Voici les ors de Balthazar
Et la lanterne d'Aladin
Voici des harpes pour les grillons
La baguette de Mélusine
Et le soulier de Cendrillon
Voici une mouette un planeur
Le rire d'une cascade
Et des peintures et des couleurs
Choisis
14 06 68
XXX
JOURNALISTES
Je nous le demande accusés:
Qu'as-tu fait de ton métier ?
Il te vint de rencontre
Ou je l'avais choisi :
Fardeau de mains tendues
De corps et de cris, de foules et de fringales
Et nous et moi pour inventer le sens...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Il te donnait peine et solitude
Mais la gloire de précéder le jour,
D'être là pour la naissance
De peser au premier cri son destin de clameur
D'être veilleur de cauchemars pour accoucher l'espoir...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Il devint quotidien, jours tracés,
Heures de service et puis on ferme,
Recette de mots blêmes
A conjuguer au passé décomposé
Doigt sur la couture
Et cul tendu vers la carrière...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier?
Et ma fille qui vivra
L'avenir que je parture
Devra récuser notre enfant :
Je nous serons les accusés
D'avoir étés veules et sans voix
Devant le talent du monde...
Je nous le demande accusés :
Qu'as-tu fait de ton métier ?
Juin 1980
XXX
BOHEME
N'ai jamais voilé que l'air du temps ;
Ventre plus creux que tronc d'église,
N'ai pour arme qu'un pipeau
Et pour ami un chat-huant.
Mais, si goulot m'était donné,
Deviendrais plus riche qu'un tonnelier,
Aurais demeure en pierre de neige
Et monture à l'amble du vent ;
Mettrais costume à paillettes
et, pourquoi pas ? chapeau pointu,
Nœud de pie, queue de papillon,
Serais élu roi des clowns !
Accrocherais ma balançoire
Aux cornes du Bélier
Et jouerais aux quilles
Avec les mats des réverbères ;
Et si enfin tout chavirait,
Roterais à la figure des gens
Avant d'endormir mon pipeau,
De bercer mon chat-huant.
27 11 68
XXX
CONTE A DORMIR DEBOUT
L’aubade du clair de lune
Fera danser des lutins
Dans la chambre des fées
Quatre cigales et trois grillons
Donneront la musique
Un gros nuage au ventre blanc
Servira d’édredon
Une toison de zibeline
Sera taie d’oreiller
On laissera le temps au millepatte
De délacer un à un ses souliers
Puis on s’endormira
Dans le nid d’un oiseau
17 03 16
XXX
PROCESSION
Des maîtres cubes de béton
Processionnent en rang d'oignons
Sous la bannière du néon
Frères laids consacrés concentrés
Ils écarquillent leurs fenêtres
En égrenant leurs litanies
Suant l'asphalte et le bitume
Ils mènent jusqu'aux chaumières
Leur procession d'abrogation
Et bavant des chêneaux
Ils balancent leurs encenseurs
Pour les vêpres du temps
1967
XXX
LE VENT
Quand mon ami le vent s'en revint de Bohème
Il avait dans ses poches un flacon de bon vin
Des rires des chansons et mille facéties
Quand le vent mon ami arriva sur la place
Il fit la pirouette juste devant le maire
Et hop sans prévenir lui vola son chapeau
Puis voyant arriver madame la crémière
A pas coquins le vent s'approcha d'elle et frou
Souleva son jupon fit voler ses dentelles
La ville s'offusqua des frasques de ce vent
On alerta le brigadier
Qui sacra, bougre de bougre, et dressa procès-verbal
Mais ce vent-là mon vieil ami
S'en vint frapper à mon volet
Et je crus bon de lui ouvrir tout grand
Il vint s'asseoir dans mon fauteuil
Je lui offris un verre de vieux rhum
Il le vida d'un trait puis il claqua la langue
Enfin il croisa les mains sur son ventre
Et sans plus de façons lui mon ami le vent
S'endormit là dans mon fauteuil.
1970
XXX
ICEBERGS
Monstres pour l’homme
Ils errent sur les flots.
On les voit quelquefois
Balancer un oiseau
Sans bien savoir
Comment le réchauffer.
Ils pourraient faire trembler
Exiger leur part de feu
Mais ils passent en frissonnant,
Marchant d’un pas pénible,
Toujours au large,
Sans s’incliner.
Et, au bout de la route,
Les voilà qui s’écorchent,
Qui s’arrachent et succombent,
Ne laissant qu’un grand cri
Et quelques larmes dans la mer.
09 05 67
XXX
QUETE
Pour que du nid au jour l'attente s'en aille éclore
Et soient comblés les veilleurs
Ecuyers
Au gonfanon de sang
Barbares
Aux cheveux dénoués
Ils ont armé leur poing d'un tranchoir
Et
Mordus de fringales
Creusés de gel
Taraudés de feu
Ils ont bondi vers les astres
Pour arracher aux tripes du vent
Un breuvage philosophale
Fait de foudre
Et de lune
Juin 1968